Comme une odeur de pot-au-feu…
Qui a lu Là-Bas (1891) sait immédiatement de quoi il retourne !
L’association ACF Paris (Art, Culture et Foi) propose ponctuellement la visite des parties hautes de l’église Saint-Sulpice de Paris : galerie surplombant le porche, charpente, pièces diverses situées à la base de la tour nord. Cette église et ses alentours, que Joris-Karl Huysmans fréquenta assidument, sont des lieux incontournables de la mythologie huysmansienne. Dans En Route (1895) il assure qu’à Saint-Sulpice « l’on pouvait se pouiller l’âme sans être vu, l’on était chez soi », belle preuve d’intimité n’est-ce pas ? Notons aussi qu’ils seront mentionnés dans toutes ses œuvres majeures, Marthe (1874) exceptée. Mais J.-K. Huysmans n’en restant pas moins un éternel insatisfait ; si l’âme se déploie en toute sérénité dans l’église, les yeux saignent face à cette « abominable construction ! (…) Du parvis au premier étage, il y a des colonnes doriques, du premier au deuxième, des colonnes ioniques à volutes ; enfin, de la base au sommet de la tour même, des colonnes corinthiennes, à feuilles d’acanthe. Que peut bien signifier ce salmigondis d’ordres païens pour une église ? Et encore cela n’existe que pour la tour habitée par les cloches ; l’autre n’est même pas terminée, mais demeurée à l’état de tube fruste, elle est moins laide ! (…) Ce n’est pas, en effet, une église, c’est une gare. » (Là-Bas, 1895)
Et c’est donc dans la plus laide des tours qu’il fit s’établir d’abord l’anonyme accordant de la nouvelle éponyme (parue en janvier 1899 dans Gil-Blas) puis, reprenant ce thème, le couple Carhaix de Là-Bas. Dans ce roman, il situe l’appartement du sonneur de cloches Louis Carhaix et de son épouse derrière les fenêtres en demi-lune de gauche, au premier niveau d’élévation.
Lors de ma visite, la guide rappela immanquablement les pittoresques scènes de repas entre l’accordant, sa femme, Durtal et Des Hermies dans cette petite pièce, voutée d’arêtes. Magiquement, s’établissait devant mes yeux ces scènes lues et relues, ces scènes d’amis devisant de l’art campanaire en voie de perdition, de l’existence réelle ou non des incubes, des succubes et autres larves ; et bien sûr des combats occultes entre le Docteur Johannès et le chanoine Docre relatés par l’astrologue Gévingey, invité exceptionnel. Tous, se délectant d’une « robuste viande qu’aromatisait une purée de navets fondus, qu’édulcorait une sauce blanche aux câpres » ou partageant un « pétulant pot-au-feu qu’éperonnait une pointe de céleri affiliée aux parfums des autres légumes », dont les fragrances embaumaient mes narines.
Revenu de mes songeries littéraires à la triviale réalité, je dois admettre que le clou de la visite fut sans nulle doute le moment où l’on nous dévoila la fameuse « cave aérienne du brave Carhaix » (effectivement située à 10 mètres de hauteur), le seul lieu qui trouvait grâce aux yeux de Durtal / Huysmans dans l’édifice.