Aurélien

Le lapin blanc

Au chapitre VIII des Sœurs Vatard (1879), Auguste et Désirée assistent à un spectacle théâtral aux Folies-Bobino, alors situées au 20 rue de la Gaîté, à Paris. A l’issue de la représentation, la sortie du public est ainsi relatée :

« Tout le monde se leva, se précipita, se bouscula pour gagner la porte. Il était onze heures. Tous les lieux publics se dégorgeaient à la fois dans la rue. La chaussée moutonnait ; des gens tumultuaient chez un marchand de tabac pour allumer leurs cigarettes et leurs pipes. Près du lapin blanc empaillé et assis dans la devanture sordide d’un pâtissier, la boutique « du petit pot » s’emplissait d’ivrognes qui croquaient le verjus. »

Intrigué par ce « lapin blanc empaillé et assis dans la devanture sordide d’un pâtissier », Léon Deffoux a mené l’enquête et donne, dans son ouvrage J.-K. Huysmans sous divers aspects (1942), l’origine de cette curiosité. Il apparaît que vers 1807, une demoiselle Copaux ouvrit une pâtisserie au 43 rue de la Gaîté et éleva concomitamment des lapins par pure affection, sans vocation aucune d’en faire du civet. A la mort du plus beau d’entre eux, elle le fit empailler et l’exposa ainsi qu’on le lit. Sa tendresse pour ces animaux devait être extrême, car son testament spécifiait que ses successeurs auraient l’obligation de perpétuer pour l’éternité l’exposition du lapin dans la vitrine. L. Deffoux achève son explication en remarquant qu’en 1941 la maison Massot (anciennement Copaux) présentait non pas un, mais deux lagomorphes empaillés en vitrine, concluant que « bien loin de se perdre avec les années, la tradition va s’aggravant ».

En ce XXIème siècle bien entamé, force me fut de constater qu’un lunetier officie en lieu et place d’une pâtissière.

Aurélien, actuel propriétaire du commerce, est un homme sensible, plein d’humour et manifestement ouvert aux anecdotes littéraires. En effet, il a immédiatement accepté ma demande de réactiver la tradition au 43 rue de la Gaîté. Ainsi, aurez-vous peut-être* l’occasion de redécouvrir, presque 150 ans après Auguste et Désirée, un lapin blanc – en peluche, notre époque étant ce qu’elle est – assis dans sa devanture, donnant ainsi tout son sens au nom de cette rue, pour tout lecteur du J.-K. Huysmans naturaliste.

La curiosité étant contagieuse, Aurélien a questionné la plus ancienne résidente de l’immeuble qui lui rapporta  que le commerce de pâtisseries subsista jusque dans les années 1960 ; mais sans que l’on sache si un lapin « taxidermé » survécut à la guerre.

* La présence de l’animal n’est pas garantie, celle-ci étant subordonnée aux thèmes développés dans la décoration de la vitrine.

Vue extérieure

Vue extérieure

Vue intérieure